Retour au marigot !


Crocodile du fleuve Niger

Il n’y a pas à dire depuis qu’une petite brise d’encouragement souffle du côté des Antilles, je commence à rêver : il n’est plus tout à fait improbable que notre politique internationale (en particulier africaine) soit radicalement modifiée dans les prochains mois.

Alain Juppé peut ironiser sur une soi-disant naïveté de François Hollande dans le dossier syrien… Mais, on serait également en droit de lui retourner l’ironie dans l’affaire libyenne. A lire (ce dossier n’est pas en ligne) l’excellent article de Jean-Philippe Rémy sur les révolutions arabes acte II et les rebellions au Sahel (le monde daté du dimanche 22 et du lundi 23 avril). On y apprend notamment que dans l’affaire libyenne des sources concordantes (en particulier diplomatiques) ne sont pas loin de penser que l’Etat français a fait preuve d’un amateurisme certain. Au point d’être jugé comme indirectement responsable des heurts du Mali aujourd’hui.

Pour le reste, je forme le voeux qu’on change radicalement notre politique vis-à-vis de l’Afrique… Que tous les vieux crocodiles de la Françafrique, les Bourgi, Debasch et autres Guéant retournent définitivement dans leur marigot… Que l’on cesse de faire des affaires avec des régimes qui ont un sourire colgate en devanture en lieu et place de la démocratie. Je songe au Cameroun, au Gabon mais également au Tchad !!!

Et puis, qu’on soit clair sur les questions liées à nos entreprises privées… Kader Arif, conseiller pour les questions de coopération dans l’équipe de François Hollande s’est engagé sur l’initiative « publiez ce que vous payez » qui vise à la transparence dans les industries extractives… Nous pouvons aller plus loin et demander des comptes sur les marchés portuaires passés entre quelques grosses entreprises et des Etats côtiers, en particulier en Afrique de l’Ouest.

Enfin, qu’on augmente une fois pour toute notre Aide Publique au Développement et qu’on la recentre sur les pays qui en ont vraiment besoin. Nos concitoyens (malgré la crise) y sont favorables.

Un aggiornamento en Afrique est une nécessité vitale ! Autrement, on assistera à des sécessions/coups d’Etat – semblables à la récente mésaventure malienne – un peu partout sur continent noir.

Le changement en Afrique est possible. Le changement c’est maintenant. Aux urnes citoyens !!!

Politique Africaine : interview exclusive de François Hollande


Les produits chinois envahissent chaque jour les marchés des principales villes africaines

Les produits chinois envahissent chaque jour les marchés de principales villes africaines : ici le présentoir d'un marchand de jouet à Bamako

Politique africaine, l’interview de François Hollande sur Afrik.com :

http://www.afrik.com/article25144.html

La conjuration Merkel


Pour un observateur non averti des us et coutumes de la vieille Europe, une pareille entrée, « la conjuration Merkel » pourrait faire songer à quelque titre d’un roman d’espionnage ou d’un « business thriller » dont les Américains sont si friands dans la veine La Firme ou Le bûcher des vanités

Il n’en évidemment rien. La conjuration dont il s’agit selon un journaliste du Journal allemand Der Spiegel n’est autre que celle de dirigeants conservateurs européens qui refusent – le temps d’une campagne présidentielle française – de recevoir le challenger de Nicolas Sarkozy et grand favori des enquêtes d’opinon, François Hollande…

Ce faisant, la conjuration Merkel – rappelons qu’elle est constituée du très libéral David Cameron, du très falot Mariano Rajoy, du successeur de Silvio Berlusconi, Mario Monti, et de la dame-patronnesse Angela Merkel herself – rend un excellent service à la constitution d’une Europe politique plus forte, qui dépasserait le cadre étriqué des Etats-Nations. Il est plaisant de voir s’immiscer dans le marigot politique français ceux-là même qui – sous prétexte de consolider d’abord une Europe économique – ont toujours refusé d’aller plus loin dans la constitution d’une voix unique en matière de défense, de relations internationales ou contre les dérive d’une certaine finance mondiale.  Que l’information du Spiegel soit ou non fondée n’y change rien… Les observer aujourd’hui s’accorder tacitement pour ne pas recevoir un homme – leader incontesté de l’opposition en France et possible futur président de la République – au prétexte qu’il remettrait sur le tapis un certain nombre de dispositions que la bande des cinq (Sarko inclus) a imposé aux peuples d’Europe (sans aucun dispositif référendaire pour les valider) ne manque pas de sel !

Attention, loin de moi l’idée de vouloir souffler sur les braises – en mode règlement de compte à OK Corral – contre une supposée bismarckisation de l’Allemagne ou des remugles de populisme quéquette et paillette du prédécesseur de Mario Monti…

Je passerais sur la participation de Rajoy à cet étrange attelage. Il nous avait habitué à l’occasion de la campagne électorale espagnole à des déclarations tellement insipides qu’on le pensait définitivement incapable d’ériger pour lui-même un quelconque positionnement idéologique et même d’édicter une seule idées qui pourrait fâcher. Réjouissons-nous, l’homme vient enfin de se mouiller. Plus étrange en revanche est la périlleuse exposition de notre ami David Cameron. Le sémillant londonien, à peine installé au 10 Downing street, était déjà parvenu à jeter dans la rue des dizaines de milliers d’étudiants. Plus tard on lui devra des émeutes inter-raciales qui ferraient passer les « flots de sang d’Enoch Powell » pour une gentille bluette… Et pourtant, cet homme-là est le fruit d’une démocratie réelle – la seule en Europe – où l’opposition dispose d’un statut à part entière.

Il respecte bien mal pour le moment la philosophie intrinsèque de la coutume anglaise. Mais ce qui est encore plus étonnant c’est qu’il n’est même pas signataire du pacte budgétaire européen qui inquiète tant les trois autres… Son homologue tchèque ne l’a pas signé non plus. Mais, à cette heure, il n’est pas mentionné comme un des membres de la conjuration. Quant au Danemark, on se souvient qu’au moment de prendre la tête de la présidence tournante de l’Union Européenne, il avait vertement critiqué certains aspects du texte. La belle unanimité ne serait donc que façade. D’autant qu’un autre leader politique de l’Union Européenne, le libéral polonais Donald Tusk est plutôt sur la même ligne que le socialiste français. Enfin, bien que signataire du pacte, le Belge Elio di Rupo soutient lui (même si plus discrètement) le candidat socialiste à la présidentielle française.  De là à dire qu’une autre voie était possible, il n’y a qu’un pas. Un petit pas qui paraît foutre une sacrée trouille à la coalition conservatrice menée par Madame Merkel.

Qu’est-ce que nos quatre larrons sont donc allés faire dans cette galère ?

Rien de bien sorcier. Ils défendent une idée égoïste de l’Europe que cette contre-coalition hétéroclite pourrait bien mettre à mal : une Europe qui s’apprêtait il y a quelques mois à sucrer l’aide alimentaire communautaire pour les plus démunis (soit plus de 18 millions de personnes) et qui sans une mobilisation globale de tous les citoyens généreux aurait disparu de sa ligne budgétaire. En attendant, le sursis n’est que de deux ans. Après les pauvres n’auront plus d’autre choix que se sustenter dans les poubelles de tous les Fouquets du vieux continent… Une Europe qui a tant tardé à renflouer la dette grecque qu’elle a finit par entraîner dans sa chute d’autres Etats membres. Une Europe qui a été incapable de mettre au ban de sa communauté un dangereux autocrate comme Viktor Orban, lui qui s’apprête pourtant à installer en Hongrie une nouvelle démocrature. Une Europe qui n’a pas perçu le dynamisme turc et le sang neuf que cette riche nation pourrait apporter à nos institutions par trop technocratiques, tout cela en raison d’impératifs imbéciles (et de faux postulats) sur les racines chrétiennes de l’Europe.

C’est cette conjuration et les soutiens qui la représentent qui refusent aujourd’hui de recevoir pour un simple entretien le représentant du principal parti de l’opposition en France. Celui qui est en mesure de constituer une alternance crédible. En contrevenant ainsi à tous les usages traditionnels en vigueur, la coalition Merkel a pris le risque d’arcquebouter les Français autour de vieilles antiennes : un certain nationalisme cocorico qui hérisse tant nos partenaires étrangers dès que l’on quitte les frontières de l’hexagone. Pire, cette coalition a pris le risque d’accentuer un peu plus dans notre pays la défiance déjà grande contre les institutions européennes et les mécanismes d’austérité qu’elles paraissent imposer à des peuples souverains.

Il est possible que dans quelques jours, le détesté des enquêtes d’opinion utilise l’argument sans cesse remâché de la faiblesse de François Hollande à l’échelle l’internationale. Il est probable qu’il ironisera sur l’ostracisme dont jouit son dangereux concurrent de la part des dirigeants des nations européennes les plus peuplées.

Il n’est pas certain en revanche que l’argument soit payant électoralement. Gageons même qu’il risque de lui réduire encore davantage sa marge de manœuvre. Il est vrai que le gaullisme, cette valeur refondatrice des droites françaises, n’est plus chez Nicolas Sarkozy qu’un très lointain souvenir…

Ose-t-on seulement imaginer un instant le grand Général quémander l’aide de l’Allemagne ou pire celle de la Grande-Bretagne afin de gagner coûte que coûte une élection ?

De Gaulle a préféré perdre une élection – le référendum du 27 avril 1969 – que de se déjuger… Il en a tiré toutes les conclusions et a choisi (et avec quel panache) de démissionner.

Autre époque que celle qui nous est donnée aujourd’hui. Autres hommes aussi.

Veolia : navigation en eau trouble


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Enfant devant le bassin de retenue de Ouagadougou, une des principales sources d'approvisionnement en eau de la capitale du Burkina-Faso

Derrière les grands majors de l’eau, des intérêts colossaux sont à l’œuvre… Des enjeux si phénoménaux qu’un Président-candidat – particulièrement aux abois en ce moment pour confondre à ce point les intérêts privés de quelques amis et ceux de la France – est frappée d’une cécité soudaine quand il dépasse la ligne rouge… Ce n’est plus la République des copains mais celle d’une bande de garnements en costume de coquins !

On aurait tort cependant de s’arrêter à une formule incantatoire : la commande passée par Henri Proglio à Nicolas Sarkozy ne vise pas seulement à placer à la tête de Véolia Jean-Louis Borloo. Tout indigne qu’il soit, cet arrangement n’est que la face immergée de l’Iceberg… Après ses tentatives en direction d’AREVA, cette commande (retenons bien qu’elle vient de l’ex-patron de Véolia à destination du Président de la République et non l’inverse) ne vise rien de moins pour l’actuel patron d’EDF que de concentrer (avec la complicité d’actionnaires qataris*) sous un même poste de commande l’accès aux ressources essentielles (eau, électricité, production d’énergie) de notre pays.

Au risque de paraître emphatique, il serait bien temps de confier la gestion de l’eau à des entreprises œuvrant pour le seul bien public. On ne peut pas vouloir pour les pays du Sud qu’ils atteignent d’ici 2015 les Objectifs du Millénaires pour le Développement au premier rang desquels figurera l’accès à l’eau si l’on n’est pas plus vertueux dans notre petite chaumière. A défaut d’un changement radical de culture, notre pays restera cantonné à la seule acception sonnante et trébuchante de distribution des fluides.

Nous devons refuser cette main-basse sur les ressources naturelles !

L’accès à l’eau est un droit imprescriptible de tout individu. L’eau doit être sanctuarisée dès maintenant non comme un pactole potentiel mais comme le seul bien public mondial non cessible ni spéculatif…

A défaut de donner l’exemple, il y aura demain dans le monde (elles sont déjà à l’oeuvre dans certaines zones de la planète type fleuve Congo, ou delta de l’Omo) des guerres pour l’accès aux ressources en eau. Un président normal doit être conscient de ce défi : un des objectifs de sa mandature devra être de constituer une diplomatie solide et solidaire autour de cet enjeu. La France, forte de son expérience dans le secteur de l’eau, a les moyens de faire naître l’an I d’une authentique hydro-diplomatie.

Avant le Sommet Rio+20, le Forum international de l’eau qui s’ouvre à Marseille le 11 mars prochain sera l’occasion de confronter les positions des uns et des autres. Souhaitons, que par-delà les effets d’annonce du Président-candidat, les corps intermédiaires, les ONG, les partis politiques de l’actuelle opposition sauront faire montre de propositions radicales pour ne pas laisser ce bien public aux mains d’un dirigeant de société mégalomane qui rêve la concentration verticale de tout un secteur…

* ce qui démontre mieux que des longs discours combien « l’indépendance énergétique » chère à notre Président-candidat est aujourd’hui en France, un leurre.

Politique de coopération et affaires internationales : le véritable bilan de Nicolas Sarkozy


Enfants de Ségou (Mali) jouant sous la statue du Général Archinard ("pacificateur" du Soudan français)

« Notre politique étrangère est placée sous le signe de l’improvisation et d’impulsions successives, qui s’expliquent souvent par des considérations de politique intérieure. »

Il ne s’agit pas là de la charge d’un quelconque ténor de l’opposition. Cette formule lapidaire est l’œuvre d’un groupe de diplomates anonymes*, dans les colonnes d’un grand quotidien.

Et pourtant… de sondages et enquêtes d’opinion, il est un domaine où le bilan du candidat-Président est peu contesté, celui des affaires internationales. Les journaux télévisés se sont bien gardés de critiquer trop ouvertement le Président de la République, comme si les affaires étrangères, « domaine réservé de l’Elysée » prémunissaient contre toutes atteintes extérieures.

Il est vrai que les choses avaient bien commencé. En juillet 2008, la France inaugurait une Présidence française de l’Union Européenne que de nombreux gouvernements des Etats membres de la Communauté Européenne mais également les Américains, saluèrent comme un modèle de dynamisme et de consensus. Autre exemple, même s’il est bien tôt pour en tirer des conclusions définitives, le rôle que la France a pu jouer en Libye ou dans le règlement de la crise ivoirienne est vécu par nos concitoyens comme un succès personnel du candidat-Président en exercice.

Hélas pour ces quelques apparents succès, que d’impairs tout au long de ce mandat présidentiel !

Oubliée la crise ouverte entre le Président de la République française et la Commission Européenne en octobre 2010 sur la question des Roms. Renvoyée aux oubliettes de l’histoire, l’ingérence du chef de l’Etat dans les affaires mexicaines : le candidat-Président a pourtant réussi à transformer un fait divers (qu’on aurait pu traiter plus discrètement) en un raté diplomatique de toute première beauté. La tension entre les autorités des deux pays a finalement abouti à l’annulation de la majorité des manifestations culturelles prévues dans le cadre de l’année du Mexique en France. Et que dire des maladresses de ses Ministres, des outrances d’un de ses Ambassadeurs lors de la révolution tunisienne ? Plus près de nous encore, il y a à peine quelques mois, les tensions diplomatiques sont montées d’un cran entre la France et l’Uruguay. Avec sa prudence naturelle, le chef de l’Etat a aimablement qualifié ce petit pays d’Amérique du Sud de « Paradis fiscal à mettre au ban de la communauté internationale ». La réponse du berger à la bergère n’a pas tardé. Un éditorialiste uruguayen évoquant pour l’occasion une véritable « déclaration de guerre » de la France contre un « petit bout de terre où vivent trois millions d’habitants ».

L’hôte de L’Elysée a un besoin maladif de « méchants identifiables ». La « figure de l’ennemi » visant à agglomérer une population autour d’un chef ou d’un parti, est une pratique politique ancienne. Avec des succès contrastés, nombreux sont les hommes politiques, notamment aux extrêmes de l’échiquier, qui usent cette ficelle jusqu’à la corde. Pour autant, il ne fait guère de doute que l’actuel locataire de l’Elysée est celui des Présidents français qui y a eu le plus largement recours. Lui et son maître des basses œuvres, Claude Guéant, l’ont étrenné avec des fortunes diverses à l’intérieur du territoire (Gens du voyage, étrangers en situation irrégulière, jeunes des cités, « fraudeurs étrangers ») avant d’en populariser la pratique à l’extérieur (Gbagbo en Côte d’Ivoire, Kadhafi en Libye, les Islamistes ultra en Tunisie et en Egypte, etc.). De préférence, les boucs émissaires sont soit faibles soit spontanément détestables.

Cette façon populiste d’imaginer les relations internationales, disqualifie à plus ou moins long terme, la parole d’une diplomatie plus complexe. Dès lors que l’Elysée a décidé, en direct et sans filet, de piloter les grandes affaires du monde, le rôle des ambassadeurs a pu être tenu pour quantité négligeable. Cela tombe bien, le candidat-Président n’aime pas les diplomates et le leur a signifié à maintes reprises. Ce mépris s’est accompagné d’une reprise en main magistralement exécutée par l’ancien locataire du Quai d’Orsay, M. Bernard Kouchner : le Ministère des Affaires Etrangères et Européennes a été lentement dépossédé de son rôle de veille. Et ses agents, légataires d’un domaine régalien, se sont transformés en des exécuteurs passifs des volontés du Prince.

Il y avait des signes annonciateurs du désastre. Dès juillet 2010, deux anciens Ministres des affaires étrangères, Hubert Védrine et Alain Juppé dénonçaient dans les colonnes du Monde un affaiblissement sans précédent du Quai d’Orsay. Ils pointaient notamment les conséquences désastreuses de la Revue Générale des Politiques Publiques (RGPP) sur le réseau diplomatique et culturel français. La RGPP a occasionné une réduction sans précédent des moyens humains et financiers du Ministère des Affaires Etrangères et Européennes. Alain Juppé est depuis revenu à la tête du Quai D’Orsay. Etrangement, il semble avoir omis les recommandations contenues dans sa tribune et n’a pas été en mesure de fléchir la désagrégation de son institution.

Avec un budget de fonctionnement et de moyen en baisse constante depuis cinq ans, le recours de plus en plus systématique aux emplois de court terme (contrat de deux ans maximum pour les Volontaires Internationaux, renouvelable une fois pour les cadres contractuels), des agents déprimés, le réseau diplomatique et de coopération n’est plus en mesure d’assurer ses missions les plus élémentaires.

Dans les postes diplomatiques, la suppression de nombreux Emplois Temps Pleins (plus de trois fonctionnaires ou assimilés sur quatre) conduit à des situations ubuesques. Des financements de projets décidés par le département sans assistance technique pour en assurer suivi et mise en œuvre. Des diplomates de plein exercice remplacés par des Volontaires Internationaux d’Administration. On va jusqu’à confier des missions diplomatiques à des agents du service de coopération. Sans parler des conditions de travail : ordinateurs vieillissants, connections internet défaillantes, V-SAT en panne, et personnel technique en sous-effectif.

Pendant ce temps, dans tous les pays de coopération prioritaire, en particulier sur le continent africain, la Chine parade main dans la main avec les autorités nationales, programme des grands travaux, s’accapare des terres, inonde les marchés de Bamako ou de Cotonou de ses produits de médiocre qualité. Aidés par des Ambassadeurs discrets mais efficaces, les Indiens lancent des supermarchés de luxe ou des PME dynamiques dans toutes les grandes capitales émergentes. Le Brésil quant à lui, ouvre des Ambassades sur l’ensemble du continent, et privilégie une diplomatie subtile qui lui assure à terme, une excellente image en Afrique.

A l’inverse, le gouvernement français se cantonne au court terme, effets d’annonce ou formules incantatoires, davantage que dans les projets ambitieux. La diplomatie d’influence a du plomb dans l’aile. On vend des écrans de fumée à des partenaires de moins en moins dupes : un défilé néo-colonialiste sur les Champs-Elysées en point d’orgue du cinquantenaire des Indépendances (souvenez vous, il y avait là en Guest-star un dénommé Bachar El-Assad), une Union Pour la Méditerranée qui ne s’est jamais incarnée autrement que dans la communication tonitruante de son promoteur, jusqu’au sommet de Copenhague sur l’environnement dont on a jamais voulu confier la préparation à des diplomates chevronnés.

Et que penser des prétendues réussites ?

Le « coup de main » en Côte d’Ivoire répondait à un impératif juste (éviter un bain de sang dans les populations civiles et rétablir la légitimité démocratique ) et avait l’aval des Nations-Unies. Mais, outre que la France a largement dépassé le mandat de la résolution 1975, son implication en première ligne dans le bourbier ivoirien, relève au mieux  de la maladresse, au pire de la cécité. Quand comprendrons-nous qu’une ex-puissance coloniale n’est jamais la plus fondée à agir sur le théâtre de ses anciens méfaits ? Dans un contexte si tendu, n’aurait-il été plus pertinent de laisser les seules troupes de l’Onuci gérer la situation ?

Quant à la crise Libyenne… Pour l’observateur averti, l’intervention en Libye apparaît d’abord comme symptomatique d’une diplomatie hors-sol, fondée sur la vitesse de réaction, un certain opportunisme politique et non pas sur l’analyse ou les connaissances des experts. Quatre ans à peine auparavant, au nom de la realpolitik euro-méditerranéenne et d’un « coup de com » en faveur des infirmières bulgares, le chef de l’Etat recevait en grande pompe Kadhafi à l’Elysée. Il y a deux ans, c’était au tour du Ministre de la Coopération d’alors, ce pauvre Alain Joyandet, de représenter officiellement la France pour le 40e anniversaire de la Jamahiriya Islamia. Etrangement, les fastueuses célébrations d’alors étaient organisées par une entreprise française présente en Lybie. Entendre ensuite un philosophe, bombardé en l’espace d’une semaine Ministre consort des Affaires Etrangères, parler d’une « cause juste » paraît bien étonnant.

Certes, le motif d’ingérence humanitaire en Libye a bénéficié d’un relatif consensus au sein de la classe politique française, sans doute tétanisée par ses lâchetés passées, au Rwanda comme en Bosnie. Mais que dire de sa perception dans les Etats de la sous-région ? On oublie trop souvent que l’ex guide de la « Jamahiriya Islamia » a largement inondé les gouvernements africains de sa manne. De nombreux hôtels, hôpitaux, écoles, mosquées qui maillent les pays de la sous-région particulièrement en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel le doivent à la générosité – certes intéressée – du défunt Colonel.

La France est finalement parvenue au forceps à convaincre ses puissants alliés (Etats-Unis, Grande-Bretagne) d’intervenir en Libye. Mais notre gouvernement n’a jamais su concevoir le problème libyen dans sa globalité, notamment à l’échelle sous régionale. Depuis, les chefs d’Etat voisins s’en sont fréquemment inquiétés. Il y a quelques mois, le Président malien Amadou Toumani Touré parlait déjà du printemps arabe comme « d’un hiver des plus rigoureux » pour les pays sahéliens. De fait, avec le pillage des entrepôts libyens par les rebelles, c’est un flot d’armes de toutes natures qui s’est évanoui dans les maquis sahariens. Les autorités de Bamako n’ayant jamais assuré un développement optimal du Nord du pays, leurs troupes sont désormais sous le feu d’une rébellion touarègue (la troisième en moins de vingt ans) qui menace de déstabiliser encore un peu plus la sous-région. La France n’a pourtant pas accru sa coopération (en particulier militaire et policière) avec le Mali ou le Niger. Et pour cause, des incompréhensions mutuelles subsistent. La question non résolues des visas vient parasiter les enjeux politiques. Les autorités maliennes sont aussi vexées que le « droit de suite » de l’armée française n’ait pas été davantage négocié en amont. Et que dire des pseudo-barbouzes qui officiaient au Nord du Mali sans l’aval des autorités ? Pour un peu, on se croirait dans un mauvais roman d’espionnage : une diplomatie parallèle aux ordres de groupes privés. Des mercenaires du renseignement qui torpillent le travail des vrais professionnels de la DGSE et que notre gouvernement est impuissant à contenir. En attendant, deux nouveaux otages français sont retenus par des groupes « terroristo-mafieux.

L’intérêt de ces groupes pour les otages français serait sans doute moindre si notre pays cessait d’apparaître comme le gendarme de Afrique de l’Ouest et du Sahel. A cet égard, la réduction (voire la suppression) des dernières bases militaires en Afrique serait un signal fort contre ce qui apparait encore comme une anomalie de l’Histoire : la permanence d’une certaine idée de la Françafrique en version tenue camouflage.

A défaut, les bandes armées qui pullulent en Mauritanie, au Niger ou au Mali devraient multiplier des opérations audacieuses contre les intérêts et les ressortissants français dans ces pays. On évoque l’indépendance énergétique de la France et son choix d’électricité produite à partir des centrales nucléaires. Mais comment peut-on parler d’indépendance énergétique quand notre pays dépend fortement de l’uranium nigérien ? Et dans ses conditions, pourquoi la France n’aide-t-elle pas davantage le gouvernement Issoufo à sécuriser ses frontières ? Et à côté des partenariats militaires, n’est-on pas en mesure de générer des actions de coopération innovantes (emploi/formation/infrastructures) à destination des zones les plus déshéritées, en particulier celles peuplées par les Touaregs,  aujourd’hui un des groupes humains les plus marginalisés en Afrique ?

Pour cela, encore faudrait-il que l’Aide Publique au Développement (APD) soit augmentée comme le candidat-Président en avait fait la promesse au début de son mandat. Pour cela, il faudrait que l’assiette de la Taxation sur les Transactions Financières que le candidat-Président prévoit d’instituer dès la semaine prochaine (quelle étrange et soudaine frénésie législative !) soit plus étendue – de sorte qu’elle puisse rapporter un peu plus que le petit milliard d’Euros envisagé  -mais aussi qu’elle soit en partie affectée à des projets relevant de l’APD. Pour cela, il faudrait enfin expliquer que l’Aide au développement est utile à notre pays. Pas simplement d’un point de vu économique mais aussi dans l’optique de tisser de véritables liens scientifiques, sociaux, et culturels avec nos partenaires. Maintenir une présence forte et généreuse, c’est éviter que d’autres Etats – qui n’ont pas tant de scrupules – fassent main basse sur les ressources et les terres des plus pauvres. Cet agenda, aux atours de la prédation la plus dégueulasse, du mercantilisme le plus cynique, est désormais à l’œuvre dans la plupart des pays les moins avancés.

Il est vrai qu’avec la crise, la tendance actuelle est à l’égoïsme et au repli sur soi. Notre idée de l’Afrique est caricaturale. Dès lors, une perception ethno-centrée du monde gagne toutes les consciences repues. Attitude de la majorité qui déteint sur le cynisme de quelques décideurs et les condamne à éluder la question de notre image à l’étranger. Nous ne devrions pas nous voiler la face, notre cote de popularité à l’international s’est fortement dégradée. Dans de nombreux pays d’Afrique mais également en Amérique du Sud et en Asie, les élites ne nous aiment pas. Avec le discours de Dakar, le soutien affiché à des autocrates (Idriss Deby, Sassou N’Guesso, Paul Biya), la façon dont la France décide de façon quasi-unilatérale des interventions militaires, le candidat-Président a remplacé dans l’imaginaire des populations du Moyen-Orient et d’Afrique, la figure honnie de Georges W Bush. Une nouvelle incarnation du cow-boy de l’Occident (tendance grognard napoléonien) qui tire plus vite qu’il ne réfléchit. Il nous discrédite tant auprès de nombreux Etats-membres de l’Union Européennes que des pays émergents, au premier rang desquels, l’Afrique du Sud et le Brésil.

Quel gâchis quand on connaît les atouts français !

Car la France dispose d’un réseau culturel, scientifique et de développement unique au Monde : des centres de recherches (IRD, CIRAD) qui inspirent des consortiums internationaux et favorisent la promotion des élites scientifiques, des Instituts Français promoteurs à la fois de la culture française et des cultures et savoirs endogènes, jusqu’à l’Agence Française de Développement qui contribue à la modernisation des pays de Zone de Solidarité Prioritaire. Ce réseau est aujourd’hui menacé par des réformes contradictoires et par le peu d’estime que lui accordent le Président et sa majorité.

A l’image de l’AFD, enviée par les Britanniques ou les Allemands pour l’originalité de ses instruments d’intervention (subvention, prêt concessionnel, prêt non-concessionnel). Ceux-ci permettent à l’agence de faire du développement sans perdre d’argent et en favorisant dans les pays d’intervention la mise en oeuvre de grands programmes économiques, sociaux et environnementaux. Avec le départ de Jean-Michel Severino et la nomination du très peu consensuel Dov Zerah à la tête de l’AFD, adieu l’ambition et l’innovation… place aux petits calculs comptable et l’aversion pour le risque ! La vision de l’agence reste macro-économique, promouvoir les grands projets au détriment d’actions pilotes. Quant aux crédits de fonctionnements et de moyens, ils sont en baisse constante ses trois dernières années. Dès lors, l’AFD tarde à mettre en place les instruments de communication qui devrait lui assurer une meilleure visibilité et favoriser la promotion d’une France énergique et innovante dans le Monde. L’agence reste ainsi trop souvent perçue comme une banque plus qu’une agence de développement alors même qu’elle avait mené ces dernières années des programmes très novateurs.

Le réseau scientifique et universitaire français se désespère. L’inique politique des visas ordonnée par le Ministre de l’Intérieur dans tous les consulats de la planète va jusqu’à contredire les grandes lignes du projet universitaire français et la politique de promotion des élites étrangères voulue par le MAEE. Ce ne sont plus simplement des étudiants africains qui en pâtissent mais des ressortissants du Canada, de Colombie, des Etats-Unis, etc. Les Présidents d’université et des grandes écoles s’en sont émus. Des personnalités scientifiques, des artistes, des simples citoyens ont finit par lancer une initiative de parrainage d’étudiants étrangers. Le plus idiot, si on se limitait à une perspective strictement comptable, c’est qu’à la perte d’attractivité générée par cette situation s’ajoute un manque à gagner financier pour nos organismes de recherche et nos institutions universitaires. Ces derniers n’ont pourtant pas besoin de cela.

Quant à notre réseau culturel, il devrait également participer à notre diplomatie d’influence et renforcer la place de notre pays sur la scène internationale. Mais, à côté des Alliances Françaises (association de droit local) dont les plus dynamiques parviennent encore à s’autofinancer, les ex Centres Culturels Français (devenus depuis les Instituts Français) font grise mine. Le montant annuel de leur budget est toujours décidé depuis Paris. Certes, avec la dernière réforme, ils disposent en théorie d’une autonomie financière. Mais sans le sésame de Bercy pour développer des activités génératrices de revenus, leur capacité d’auto financement restera accessoire. Dès lors, la mort programmée des derniers établissements culturels deviendra la triste réalité.

Que conclure de ce bilan à l’heure où le monde est traversé par une crise identitaire, économique mais également environnementale unique dans l’histoire de l’humanité ?

D’abord que le candidat-Président et sa majorité sont comptables de la perte d’influence de la France dans le monde. Comptables de la perte de compétitivité de notre pays à l’international. Comptables de la mauvaise image de la France auprès d’un grand nombre de peuples de la planète. Tout cela, en raison d’impératifs idéologiques, d’une politique politicienne de bas étage, d’une ignorance certaine voire d’un mépris des cultures étrangères… Avec, cette perception sommaire des enjeux internationaux qui a guidé la politique diplomatique de l’actuel locataire de l’Elysée, notre pays s’est discrédité pour longtemps. Complicité des chaines de télévisions ? Contrevérités répétées des membres du gouvernement ? Vie quotidienne trop dégradée pour s’intéresser au reste du monde ? Peu importe au fond… Le résultat et là : nos concitoyens ignorent largement l’inimité que nous suscitons à l’étranger et singulièrement parmi les grands émergents.

Le bilan international du candidat-Président, davantage qu’un trompe-l’œil, est un mensonge. De la poudre aux yeux… jetée à la face de nos concitoyens. Voire, si l’on analyse notre diplomatie à l’aune de la place de la France dans le monde, le plus désastreux de la Ve République.

Il n’y a pas de fatalité. Ce qui a été déconstruit peut-être rattrapé par une politique sereine, ambitieuse et cohérente, cela, sans aggraver le budget de l’Etat. A condition, d’agir en concertation et en bonne intelligence avec nos partenaires, au premier rang desquels les Etats membres de l’Union Européenne, de cesser de tirer sans cesse la couverture à soi lors des sommets internationaux, de réhabiliter les promoteurs de notre coopération et de notre diplomatie, de percevoir le monde et ses enjeux dans leur globalité, sans nier les grands défis qui attendent notre pays mais sans jouer sur les éléments les plus anxiogènes qui traversent le siècle… A ces conditions seulement, la France retrouvera un sa place dans le concert des nations.

Ceci pourrait être l’ébauche d’un projet porté par un candidat conscient de l’immense tâche qui l’attend. Cela doit être la ligne du futur président de la république française dans les affaires internationales. Une présidence équilibrée d’une France réconciliée avec elle-même et avec l’étranger.

* Le groupe Marly est né du café du même nom où ces diplomates avaient pris l’habitude de se réunir.

Cyrille Le Déaut